Encadrer les prix et la liberté contractuelle
Intervention de Laurent BENZONI lors de la conférence du 14 mai 2019 organisé par la DGCCRF sur le thème : « Puissance d’achat : quelle limite à la libre négociation des prix ? »
Un mauvais remède pour contrer les excès de la puissance d’achat
Résumé – Le pouvoir de négociation des entreprises est lié à leur pouvoir de marché individuel ou collectif. La neutralisation du pouvoir de marché des acheteurs est donc la condition préalable du rééquilibrage des relations entre fournisseurs et distributeurs. Cependant, le droit commercial français centre son action sur un encadrement de plus en plus restrictif du cadre des négociations. Cette approche est inefficace et nuit à la liberté du commerce. Il importerait qu’une analyse économique concurrentielle et une action spécifique des autorités de concurrence soient plutôt engagées pour limiter, à la source, les pratiques d’achat de la grande distribution.
1/ Introduction
Il ressort une certaine difficulté pour s’expliquer économiquement la présence conjointe d’un droit de la concurrence et d’un droit des pratiques restrictives de concurrence, en particulier ces dispositions qui encadrent les négociations, l’obligation de revendre des biens alimentaires avec une marge minimale de 10% ou celle de ne pas réaliser des promotions dépassant 33% du prix de référence d’un bien alimentaire.
De surcroît ce renforcement constant des contraintes pesant sur les acteurs au détriment de leur liberté commerciale interpelle les économistes qui y voient pour beaucoup la conjonction d’une incompréhension économique des mécanismes de marché et le résultat de l’action des lobbys.
Dans un article publié début 2019, le professeur Jenny en vient alors à proposer une solution radicale : la suppression titre IV du code du commerce, en particulier l’article L.442-6. Selon cet observateur et analyste averti, le droit de la concurrence et la reconnaissance législative des pratiques de concurrence déloyale peuvent suffire à traiter les contentieux issus des négociations contractuelles conflictuelles entre partenaires commerciaux. Les seuls déséquilibres contractuels à considérer seraient alors ceux relevant des pratiques dites de « hold up » en économie des contrats. Cette position reprend au fond les analyses déjà présentes dans le rapport du Conseil d’analyse économique sur les relations entre fournisseurs et distributeurs rédigé en 2000 par Jean Tirole, devenu depuis Prix Nobel d’économie.
Dans cette approche, les autorités de concurrence sont toujours dédouanées de toute responsabilité dans le dysfonctionnement des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Cela ne parait pas totalement satisfaisant car cette approche déconnecte le pouvoir dont disposent les acteurs dans leurs négociations, du pouvoir dont ils disposent sur le marché, seuls ou collectivement. Or, le pouvoir de négociation et le pouvoir sur le marché sont intrinsèquement liés. Il faut bien appréhender ce lien pour comprendre comment le droit de la concurrence a été une sorte de chaînon manquant dans le dispositif visant à pallier les dérives indésirables des négociations commerciales.
Au moins deux problèmes ayant trait aux analyses concurrentielles peuvent être relevés : le premier une insuffisante évaluation des effets de la concentration des acheteurs, le second problème a trait à l’insuffisante analyse de l’origine et des effets des gains d’efficience dans le secteur de la distribution.
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